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Décembre 1920 : le congrès de tours et la naissance du Parti Communiste

28 Décembre 2014 , Rédigé par energiefaucille

Le jeune parti ouvrier, né en décembre 1920, à Tours, comptait dans ses rangs des dizaines de milliers de militants sincèrement dévoués à leur classe. Il incarnait l'espoir de tous les opprimés du pays. Mais en quelques années, il devint un parti stalinien avant même d'avoir pu être un parti révolutionnaire

Paru en janvier 2001.

Le PCF a commémoré récemment ce qu'il considère comme son 80e anniversaire, à l'occasion de ce que les journalistes de L'Humanité ont baptisé une « rêve-party ». Ses dirigeants, Robert Hue en tête, ont profité de cette occasion pour exorciser le passé au nom du « modernisme », prenant ainsi encore un peu plus de distance avec l'idéal communiste qui a présidé à la naissance du Parti Communiste. Ils gomment ainsi le fait que des centaines de milliers d'hommes et de femmes, qui aspiraient à changer la société à l'exemple des révolutionnaires russes, avaient combattu pour l'idéal communiste. Ces militants, sur fond de vague révolutionnaire en Europe après la Première Guerre mondiale, fondèrent le Parti Communiste à Tours, en décembre 1920.

Les militants de cette époque s'engageaient dans un combat qui visait à libérer la classe ouvrière de l'exploitation capitaliste. Ils étaient à des années-lumière des préoccupations électoralistes et réformistes d'un Robert Hue et d'un parti qui n'a plus de communiste que le nom.

Au sortir de la guerre, le Parti Socialiste, Section Française de l'Internationale Ouvrière (SFIO), avait vu ses rangs se gonfler de nouveaux adhérents, liés à la radicalisation des masses ouvrières et des luttes sociales de l'immédiat après-guerre, dégoûtés et révoltés par la gigantesque boucherie de la Première Guerre mondiale. Nombre de jeunes ouvriers avaient adhéré au Parti Socialiste et regardaient vers la Russie ouvrière, tandis que l'ancienne direction réformiste du parti s'était discréditée pour avoir participé à des gouvernements dits de « défense nationale » dès août 1914. D'où les profondes luttes internes qui secouaient ce Parti Socialiste.

En février 1920, la majorité des délégués rejeta l'adhésion à la toute nouvelle Internationale Communiste lors du congrès du Parti Socialiste à Strasbourg. Cependant, le courant favorable à la IIIe Internationale se renforçait au sein de la SFIO. Celle-ci envoya Marcel Cachin, directeur de L'Humanité et Ludovic-Oscar Frossard, secrétaire du parti, dont le passé était, pour l'un comme pour l'autre, tout sauf révolutionnaire, pour prendre contact avec les révolutionnaires russes, en juillet, au IIe congrès de l'IC.

Vers l'éclatement de la SFIO

Lorsque s'ouvrit le congrès de Tours, le 25 décembre 1920, bien peu parmi les 285 délégués du Parti Socialiste pouvaient avoir d'illusion sur l'issue des débats : la scission s'avérait inévitable et l'adhésion de la majorité à l'Internationale Communiste aussi. Voilà ce qui était au cœur des préoccupations militantes et qui avait été longuement débattu dans les réunions et dans les colonnes de la presse du parti, de L'Humanité au Populaire.

La droite du parti, unie derrière Marcel Sembat et Léon Blum, refusait de « livrer le parti à l'étranger » et ce qu'elle appelait le « diktat » des bolcheviks russes. Ferdinand Loriot et Boris Souvarine, principaux représentants de la gauche du parti, reflétant le point de vue de la majorité des délégués, militaient pour l'adhésion immédiate à l'Internationale Communiste. Suivant le courant par opportunisme, il existait une sorte de marais, dont les membres se désignaient du nom de « reconstructeurs », regroupés autour de Cachin et Frossard, qui apporta son soutien à la majorité. Après plusieurs jours de débats houleux, par 3 208 mandats contre 1 022, le congrès de Tours décidait d'adhérer à la IIIe Internationale. La majorité du parti social-démocrate, qui représentait les mandats de 130 000 adhérents contre 30 000 à la minorité réformiste, prenait alors le nom de Parti Communiste - Section Française de l'Internationale Communiste (SFIC).

L'opportunisme de Cachin et Frossard

Cachin et Frossard considéraient l'adhésion à l'Internationale comme un mal nécessaire pour mieux sauvegarder leur position au sein du parti, et l'acceptation des conditions exigées par les dirigeants de cette Internationale comme faciles à contourner. Mais les dirigeants de l'IC se méfiaient de Marcel Cachin qui avait été chauvin pendant la guerre. Il était connu pour être allé démarcher, au nom du gouvernement français, en 1915, Mussolini, alors socialiste en rupture de ban et favorable à l'entrée en guerre de l'Italie. Il était également connu pour être intervenu, aux côtés des alliés c'est-à-dire de la France et de l'Angleterre, auprès du gouvernement provisoire russe pour qu'il accentue les efforts de guerre sur le front est, en février 1917. Autant dire que Cachin et Frossard ne faisaient pas illusion, surtout pas aux bolcheviks.

Les dirigeants de l'Internationale étaient conscients de l'ambiguïté qui entourait la naissance de la section française de l'IC. Ils entendaient écarter du nouveau parti les réformistes les plus compromis avec le pouvoir, et essayaient de ne pas voir s'écarter les ouvriers ayant encore des illusions à l'égard des anciens dirigeants du Parti Socialiste ou n'ayant pas compris, ni même connu, le rôle qu'ils avaient joué au sein de l'Union sacrée.

Le changement de nom de la majorité du Parti Socialiste en Parti Communiste n'en faisait pas pour autant un parti révolutionnaire. Les bolcheviks comptaient bien s'appuyer sur les éléments révolutionnaires du jeune parti pour battre en brèche l'influence des dirigeants réformistes qui avaient réussi à passer le « barrage » des vingt et une conditions, fixées par les révolutionnaires russes, conditions qui visaient à définir le cadre de l'adhésion à l'Internationale Communiste. Voilà pourquoi ils étaient intervenus pour que des militants issus du syndicalisme révolutionnaire comme Alfred Rosmer et Pierre Monatte, militants internationalistes pendant la guerre, adhèrent au jeune Parti Communiste.

Pour forger une direction révolutionnaire, Lénine et Trotsky fondaient leurs espoirs sur ces jeunes ouvriers que le Parti communiste avait su attirer par milliers. Des jeunes militants qui osaient parler du communisme à une époque où affirmer de telles opinions pouvait conduire en prison, qui intervenaient dans toutes les luttes grévistes de la classe ouvrière, participaient aux campagnes antimilitaristes et anticoloniales du parti.

Un parti qui aurait pu devenir révolutionnaire

Ainsi débarrassé de nombre de dirigeants qui s'étaient compromis dans la guerre impérialiste, le jeune Parti Communiste offrait de réelles perspectives, fort de cette base ouvrière et militante qui commençait à se tremper dans les luttes difficiles. Il aurait pu devenir un parti révolutionnaire. Mais l'Internationale Communiste manqua de temps pour réaliser l'objectif qu'elle se fixait.

Dans les années qui suivirent le congrès de Tours, le Parti Communiste vit s'effondrer ses effectifs, tant à cause de la répression bourgeoise que du recul de la vague révolutionnaire. Mettant à profit ce reflux général, la bureaucratie, avec Staline à sa tête, s'installa au pouvoir en URSS, prit le contrôle de l'Internationale Communiste et opéra un virage à 180°. Désormais, la bureaucratie russe n'avait plus besoin de partis qui soient révolutionnaires. Elle transforma les jeunes partis communistes en vassaux au service de sa politique extérieure. Cadres et dirigeants furent sélectionnés en fonction de leur fidélité aux dirigeants du Kremlin. La bureaucratie s'appuya sur les dirigeants opportunistes que les bolcheviks avaient voulu écarter.

Au nom de la « bolchevisation » des partis communistes, l'Internationale stalinienne élimina de ses rangs les révolutionnaires. Les fondateurs du Parti Communiste, réellement partisans de l'adhésion à la IIIe Internationale comme Souvarine, Rosmer, Monatte et Loriot, furent exclus sans autre forme de procès entre 1924 et 1926. Frossard rejoignit la SFIO. Cachin, lui, fit une longue « carrière » à l'ombre du stalinisme, tandis que d'autres dirigeants s'inclinèrent.

Le jeune parti ouvrier, né en décembre 1920, à Tours, comptait dans ses rangs des dizaines de milliers de militants sincèrement dévoués à leur classe. Il incarnait l'espoir de tous les opprimés du pays. Mais en quelques années, il devint un parti stalinien avant même d'avoir pu être un parti révolutionnaire. Cela fut possible parce que les dirigeants dont le jeune parti s'était doté dévoyèrent avec cynisme les qualités d'abnégation et de dévouement des militants communistes, sous l'influence du stalinisme, pour les mettre au service des seuls intérêts de la bureaucratie russe. Celle-ci n'hésita pas, quand elle l'estima nécessaire à sa survie, à pratiquer des alliances avec les camps impérialistes qui s'affrontaient. Au gré des situations, elle imposa aux PC de se ranger dans le camp de leurs bourgeoisies respectives. Cela contribua considérablement à transformer les partis communistes, en particulier en France, en ce qu'ils sont devenus aujourd'hui, des partis qui ne conservent encore - et pas toujours - de communiste que le nom.

René Cyrille

Lutte Ouvrière n°1695 du 5 janvier 2001

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